Suite à la Convention d’Armistice du 22 juin 1940, la France a été divisée en zones : zone libre, zone d’occupation allemande, zone d’occupation italienne, zone interdite… Et zone militaire rattachée au commandement allemand de Bruxelles. Cette dernière correspond à une zone géographique que les Allemands considèrent volées par Louis 14. Le Reich cherche à s’emparer du territoire des Pays-Bas, de la Belgique et du Nord-Pas-de-Calais. Sous l’occupation, cette région du nord de la France, considérée comme ethniquement acceptable par les nazis car habitées de nombreux flamands, fait donc partie de la zone militaire rattachée à Bruxelles.


 
(Heddebaut, 2018)


Pourtant, c’est avant même que les allemands opèrent cette percée que la république française décide de sédentariser les nomades, en avril 40. Le 6 avril 1940, les autorités françaises décrétèrent l’interdiction de circuler et l’assignation à résidence de tous les « nomades », considérant que leur circulation représentait « pour la défense nationale et la sauvegarde du secret un danger qui doit être écarté » .

Rapidement, l’arrivée de l’occupant allemand s’accompagna de la mise en place d’une législation raciale, qui commença par l’introduction du statut des Juifs, le 3 octobre 1940. S’en suit alors une ordonnance visant les Tsiganes, le 4 octobre 1940, avec l’instruction de parquer tous les nomades dans des camps d’internement gérés par des policiers français. Cette décision fut difficilement acceptée en France, à cause notamment du budget que représentait l’alimentation des détenus : « Le commandant militaire en France a décidé, par arrêté du 11 février 1942 : ‘La surveillance des nomades est une mesure politique qui incombe à l’Administration française. C’est pourquoi les frais d’internement des nomades sont à la charge de l’administration française en tant que mesures de police prises par l’Etat français, et ceci également quand l’internement a lieu sur ordonnance des services allemands » (Bernadac, 1979, p. 111).
Une trentaine de centres ont vu le jour, dont 25 étaient réservés exclusivement aux Tsiganes, et le reste aux Juifs et aux Tsiganes simultanément ou successivement (Filhol, 2001 ; Heddebaut, 2018) :


[1] (Filhol, E., 2010, p. 16)

« Le grand tourbillon de l'exode et de la défaite passé, l'ordre fut effectivement appliqué et des camps d'internement de nomades s'ouvrirent sur tout le territoire français : Poitiers, Rennes, Angoulême, Compiègnes, Rivesaltes, Sallières, Coudre-cieux, etc… Linas-Montlhéry, dans l'Essonne, fut l'un de ces camps où aboutirent (…) au moins 9 familles tsiganes belges, une cinquantaine de personnes au moins » (Gotovitch, 1976, p. 169).
Vichy, qui se trouve en zone « libre », développe des camps mixtes sur la côte, où sont enfermés des « asociaux », des communistes, des Tsiganes. Le camp de Sallières, dans le département des Bouches-du-Rhône, sera même présenté par le Régime Vichy comme un camp modèle pour les Tsiganes, Vichy s’en était félicité !

« Dans un ancien camp de l'armée britannique, à Mulsanne dans la Sarthe, sont réunis vers avril 1942 les populations de plusieurs petits camps, dont celui de Linas. Près de 700 Tsiganes y sont rassemblés en mai 42, parmi lesquels on dénombre 574 Français et 23 Belges. Toutes les familles n'ont donc pas suivi le même chemin. A Mulsanne, les rations alimentaires sont réduites, « la viande n'atteignant pas 125 gr par semaine » ; une centaine d'homme travaillent aux usines Renault du Mans où ils sont emmenés chaque jour par camion sous bonne garde. (…) Mais à la mi-mai 1942, le camp est dissous et les « 750 de Mulsanne » sont dirigés vers le camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), créé le 8 novembre 1941 sur décision allemande mais placé sous administration française et destiné à recevoir les nomades de l'Ouest et du Sud-Ouest de la France » (Gotovitch, 1976, p. 173). Le camp de Montreuil-Bellay était le plus grand des camps d’internement pour nomades en France.
Au total, environ 6000 hommes, femmes et enfants Tsiganes, rendus facilement identifiables par leurs carnets de circulation, ont été enfermés dans ces camps. Très vite, la surpopulation, la négligence et le manque de moyens y firent émerger une insalubrité qui s’installa durablement, intensifiant au fil des mois la puanteur et la saleté des blocs où les détenus étaient amassés.

Dans d’autres zones de France, les Tsiganes furent assignés à résidence. Ils furent alors arrêtés et parqué à côté des gendarmeries locales. Tous les mois, les agents procédaient à un décompte pour s’assurer que la taille et les membres du groupe restaient inchangés. Les familles, dont le modèle économique était jusqu’alors calqués sur un mode de vie itinérant, se retrouvèrent livrées à elles-mêmes, sans possibilité concrète de se ravitailler. Le stigmate du voleur de poule s’enracina alors avec une virulence inédite : bien souvent, la population locale ne supportait pas leur présence, certains allant jusqu’à lancer des pétitions contre les familles, demandant leur expulsion vers des camps de concentration. Il s’agissait en effet d’une possibilité pour les préfets.
Face à ce climat particulièrement hostile, de nombreux Tsiganes cherchèrent à rejoindre la Belgique, où il n’y avait alors ni camp d’internement, ni assignation à résidence à côté des gendarmeries… Mais pour de nombreuses familles, cette tentative de fuite fut ce qui causa leur perte (voir l’onglet « Belgique – Les rafles – En France »).


Références :
• Filhol, 2001. La mémoire et l’oubli : l’internement des Tsiganes en France, 1940-1946. L’Harmattan.
• Filhol, E., (2010). La loi de 1912 sur la circulation des « nomades » (Tsiganes) en France. Revue Européenne des Migrations Internationales, vol.23(2).
• Heddebaut, M., (2018). Des Tsiganes vers Auschwitz. Le convoi Z du 15 janvier 1944. Editions Tirésias.