Le 6 avril 1940, un décret-loi signé par le dernier président de la IIIe République, Albert Lebrun, stipule que les nomades sont désormais interdits de circulation et doivent être rassemblés dans des lieux d’internement. Le prétexte avancé est le risque, en temps de guerre, de voir ces « nomades » devenir des espions.

Une trentaine de centres ont vu le jour, dont 25 étaient réservés exclusivement aux Tsiganes, et le reste était consacré aux Juifs et aux Tsiganes simultanément ou successivement. Le plus grand de ces camps pour nomades en France fut celui de Montreuil-Bellay (Département Maine-et-Loire). Il s’agissait d’un camp pour « individus sans domicile fixe, nomades et forains, ayant le type romani ».

D’après les recherches menées par Jacques Sigot, le site de Montreuil-Bellay, avant d’être assigné aux Tsiganes, a eu plusieurs affectations sur une courte période : "A l'origine, c'est une cité construite entre janvier et juin 1940, destinée à loger le personnel d'une poudrerie que le ministère de la Guerre installe aux abords de la ville. L'invasion allemande la transforme, jusqu'en mars 1941, en stalag pour les soldats français en déroute qui seront déportés ensuite outre-Rhin comme prisonniers, mais aussi pour des civils originaires de l'empire britannique, arrêtés pendant la Bataille d'Angleterre, et toutes sortes d'individus interceptés sur les routes de la région." (Sigot, 1995) Parmi les détenus historiques enfermés à Montreuil-Bellay, il y aurait également eu des réfugiés espagnols fuyant le franquisme.

A partir du 8 novembre 1941, le site de Montreuil-Bellay est devenu un camp de concentration pour Tsiganes, et l’est resté jusqu’en janvier 1945. De nombreuses familles de Tsiganes belges y ont été internées, constituant la seconde nationalité la plus représentée après les français. Des sans-abris arrêtés dans les villes avoisinantes y ont également été envoyés. (Sigot, 1995) A partir d’août 1942, Montreuil-Bellay est devenu un camp interrégional. Des familles tsiganes en provenance d’autres camps y étaient envoyées au gré des fermetures et réaffectations des lieux d’internement :


Gotovitch, J., 1976. Quelques données relatives à l’extermination des Tsiganes en Belgique.
Bernadac, C., 1979. L’holocauste oublié.


« Les effectifs augmentent rapidement pour atteindre le chiffre de 1000 personnes en août 1942. Les camps du grand ouest (Coray, La Morellerie, Mulsanne, Montsûrs, Barenton, Poitiers) déversent leurs internés jusqu’en 1943. Environ 2000 personnes soit un quart de la population nomade internée en France a séjourné dans le camp de Montreuil-Bellay entre 1941 et 1945 ». (Hubert, 2016)

Le camp de Montreuil-Bellay n'était ni un camp de travail, ni un camp de transit (comme on en trouvait par exemple à Drancy ou à Compiègne) : il s’agissait d’un camp d'internement. Les Tsiganes qui y sont restés enfermés n’auraient jamais été déportés vers l'Allemagne. (REF) Comme dans de nombreux autres camps français, les conditions de vie des détenus y étaient déplorables : à la souffrance que représente la privation de liberté se sont rapidement ajoutés les problèmes de sous-alimentation et des conditions d’hygiène catastrophiques. Dans l’un des premiers numéros d’Etudes Tsiganes, Jacques Sigot explique que "les internés souffr(ai)ent surtout de l'impossibilité de se déplacer, peut-être le plus insupportable pour des gens dont la raison de vivre était la liberté de la route ; des conditions matérielles lamentables ; de l'indigence de la nourriture."

Dans ces baraquements sans chauffage et aux douches rarement fonctionnelles, la situation d’hygiène et sanitaire était aggravée par les températures extrêmes de l’été et de l’hiver. En effet, sur la grande plaine du camp de Montreuil-Bellay, rien ne protégeait les détenus des grands vents ni des chaleurs caniculaires. D’après Jacques Sigot, la plupart des décès qui ont eu lieu à Montreuil-Bellay durant les 4 ans et demi d'internement concernaient d’ailleurs des vieillards et des bébés nés de mères sous-alimentées. Il évoque aussi l’accablante léthargie qui régnait dans un lieu où les détenus tournaient en rond, « à attendre, à ne rien attendre d'autre que la liberté perdue, attendre pendant des années, coincés entre une route passagère et une voie ferrée ». Une mise en abîme qui suffit à imaginer la misère morale et psychologique que représentent des années passées derrière des barbelés, sans que personne ne comprenne bien pourquoi.

Comme dans les autres lieux d’internement pour nomades, le camp de Montreuil-Bellay était entièrement géré par l’administration française, des gardiens au directeur. Jusqu'en janvier 1943, la surveillance du camp était confiée à des gendarmes français, qui furent ensuite rejoints par des jeunes de la région à qui ce service au sein du camp permettait de se soustraire à la « relève forcée » puis au Service du Travail Obligatoire en Allemagne :
« A partir de janvier 1943, sont recrutés des gardes civils, le plus souvent des jeunes gens qui échappent ainsi au départ pour l'Allemagne dans le cadre de la Relève Forcée (septembre 1942) puis du Service du Travail Obligatoire (le STO) institué par la loi du 16 février 1943. L’effectif général des gardes comprend alors environ 1 adjudant, 6 gendarmes, 45 gardes civils, dont 2 cuisiniers. Pour simplifier, les gendarmes surveillent les gardes civils qui surveillent les internés » (Sigot, 1995)

Les Montreuillois, pour qui le camp constituait une forme d’attraction, effectuaient des visites dominicales le long des grillages d’où ils pouvaient observer les détenus. A l’intérieur, les Tsiganes faisaient l’objet de moquerie, de pitié, parfois de solidarité. L’historien Jacques Sigot raconte : "Les Montreuillois m'ont dit 'on avait pitié d'eux, on leur jetait du pain, on leur jetait des cigarettes derrières les barbelés'. Il y a des enfants, enfin des enfants devenus adultes, qui m'ont dit 'oui, ils nous jetaient des morceaux de pain, des bonbons ou des cigarettes parce qu'on se jetait dessus, et que ça les amusait'. Voyez le même témoignage, vu par d'anciens internés et vu par des Montreuillois. Il y a certainement des gens qui ont jeté par gentillesse, par pitié, à manger, puis y en a d'autres qui en ont profité".

D’autres estimations parlent de 2500 à 3000 personnes.
Extrait issu d’une interview de Jacques Sigot pour Mediapart (2010) 

À l'époque, les baraquements de Montreuil-Bellay étaient encadrés de deux rangées de barbelés et surveillés par des miradors érigés aux quatre coins de la zone. A l'entrée du camp se trouvait une cave, qui servait à punir les détenus récalcitrants. Dès les premiers bombardements, des enfants tsiganes y furent aussi enfermés, un par famille, pris en otage pour éviter que leurs parents ne fuient au travers des trous apparus dans les grillages. (Sigot, 1995)


Des témoignages concordants de survivants de Montreuil-Bellay ont été recueillis par la journaliste Laure Dessy, qui relate : « Un jour, les barbelés entourant le camp ont été détruits par un bombardement allié. Le camp était en effet répertorié encore comme une poudrerie, fonction qu'il avait avant le début de la guerre. Comme les tsiganes pouvaient s'échapper, il a fallu trouver une solution. ‘Les gardiens prenaient toutes les nuits un garçon dans chaque famille, et l'enfermait dans la prison’, raconte José Fernandez, qui a été enfermé lui aussi. Il entre dans la cave qui servait de prison : ‘On était là, entassés à 50, les pieds dans l'eau et l'humidité’. »
La fin de la guerre n’a toutefois pas signifié la fin des souffrances des détenus de Montreuil-Bellay. Une fois le camp évacué en janvier 1945, la plupart des détenus ont été conduits vers d'autres camps, notamment celui de Jargeau et d'Angoulême. Le dernier camp d’internement ne fut fermé qu’en 1946, soit plus d'un an avant la fin officielle de la guerre !

Références :